Peinture et inspiration, ou comment se détacher des diktats de la mode
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Si la mode peut souvent être source de complexes et de frustrations, il suffit de changer son angle d'approche pour transformer ce qui se résume trop souvent à une religion consumériste en aventure aussi enrichissante que délectable...
En matière de vêtements, on aurait tendance à penser systématiquement en terme de marques, de modèles spécifiques à acquérir et de must have désirables. Il faut dire que tout nous y encourage, entre lookbooks alléchants, crédits s'affichant au survol des photos Instagram et séries modes des magazines où l'on détecte la dernière friandise Isabel Marant. On en vient alors à accumuler les frustrations, tant cette liste d'envies "fashion" se voit sans cesse alimentée en pièces inaccessibles. Mais aussi et surtout, on en oublie que les vêtements ne se résument pas au statut de "faire-valoir des griffes en vogue" : ils sont au contraire appelés à raconter une histoire, à servir un style et ils n'ont pour cela besoin ni de suivre la valse consumériste des tendances, ni de sortir d'un corner du Bon Marché.
Il suffit pour s'en convaincre de chercher ses inspirations stylistiques en dehors des supports poussant à l'acte d'achat (presse, IG, campagnes…). Délaissons ainsi les images gorgées de placements de produits au profit de leurs consoeurs plus abstraites. Boudons les Vogue et compagnie et allons arpenter les allées des musées, où nous trouverons de quoi nourrir notre grammaire chromatique et stylistique. Nous en ressortirons alors plus enrichies que frustrées, et découvrirons qu'il est bien plus jouissif de fouiller dans notre coffre à bijoux afin d'y dénicher des anneaux évoquant cette oeuvre de Klimt que de nourrir des pulsions d'achat stériles face aux dernières boucles d'oreilles Céline... Dans la pratique, ce tableau de Toulouse-Lautrec nous poussera à partir en quête d'une délicate robe verte aussi intemporelle que raffinée, ce portrait de Klimt nous rappellera que snood texturé et manteau ovoïde graphique font bon ménage, tandis que cet autre du même artiste nous convaincra de l'infinie modernité du duo carré sage/blouse victorienne. Cette peinture d'Édouard Vuillard nous donnera par ailleurs envie d'associer à nos jeans une blouse à rayures au volume audacieux, cette autre de Lautrec nous poussera à marier chignon généreux et top noir moulant, cette toile nous suggérera de troquer notre pyjama en molleton contre une robe de chambre vaporeuse, alors que celle-ci fera naître en nous le désir de nous lover dans un manteau brun masculin. De son côté, ce tableau de Modigliani nous invitera à marier vert d'eau, rose dilué et marron, tandis que cette toile d'Alexej Jawlensky nous donnera envie d'associer rouge, vert d'eau et touche de camel.
Et s'il est ici toujours question de vêtements et d'enrichissement de sa garde-robe, l'aventure est néanmoins bien plus sereine qu'une traditionnelle séance shopping. Car au sein des collections d'art, nous avons le temps : l'émotion ressentie face à tel tableau est générée par une alliance de teintes et de textures dont la beauté ne risque pas de faner avec les saisons. Par ailleurs, rien n'est ici imposé ou dicté : le vêtement, les coloris et les matières se voient interprétés en fonction de la sensibilité de chacun. Et pour matérialiser la magie esthétique émanant d'une toile à l'huile, les possibilités ne manquent pas : couturière, échoppes vintages, vide dressing, fouille au coeur des malles des nos grand-tantes… Cerise sur le gâteau, les allées des musées sont un délicieux moyen de contrebalancer les diktats esthétiques actuels : à des années-lumière des corps standardisés, des silhouettes porte-manteau sans personnalité et du bien-être fascisant que l'on tente de nous imposer (le tout contribuant à nous désolidariser de notre propre corps et à nous le rendre hostile), les corps aperçus sur certaines toiles - voir ici, ici, ici, ici, ici et là - nous font entrevoir une réalité tout autre, bien plus dense, vivante, riche et complexe. On réalise alors tout à coup que ces corps qui ne passeraient pas le casting d'un défilé Dior sont parfaitement dignes d'êtres peints, célébrés, encadrés, admirés et que notre corps, loin d'être un OVNI à photoshoper, aurait toute sa place au sein de cette mosaïque de chairs. Autrement dit, il est temps de se placer dans l'oeil de l'artiste plutôt que dans celui du designer/directeur de casting/rédactrice de mode afin d'embrasser avec volupté sa propre matérialité...
Par Lise Huret, le 09 novembre 2017
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Pour admirer des corps et me sentir de nouveau en pleine possession du mien rien de mieux que le hammam. Dans la moiteur de cet espace où l'on est forcé de ralentir, de s'avachir et de se poser, le corps de la femme resplendit. C'est bon de se rappeler qu'il n'y a pas qu'un corps et que le meilleur corps à habiter est avant tout le sien.
Merci pour ce très bel article tout particulièrement inspirant.