Charles

Chronique #171 : Pic de croissance et mélancolie maternelle 

1530
Jeudi 15 avril, 16h. La portière claque, la voiture frémit sous les 20 kilos qui viennent de s'ajouter à sa charge. Les zygomatiques étirés au maximum par la joie de retrouver mon fils après plusieurs heures de séparation, je me tourne vers lui pour lui souhaiter la bienvenue.  À sa vue, mon "Hello !" joyeux se mue en murmure inaudible : l'enfant qui vient d'entrer dans le véhicule n'est pas celui que j'ai embrassé ce matin. Ses épaules sont mieux dessinées, la ligne de sa mâchoire est plus acérée, son regard est moins doux ; même sa voix semble avoir changé. Mon Charles a disparu. Il a été dévoré par un être faussement familier...
Charles
Je roule. À l'arrière, le silence règne. Oubliés le décompte des bêtises des copains et les récits interminables mêlants cours d'histoire et intrigues Playmobil : l'enfant est mutique. 
"Ça va ?". 
"Oui, je suis en train de penser…"

Alors que nous longeons l'océan tourmenté, une évidence me saute aux yeux : la métamorphose que je tentais vainement de différer en rallongeant les histoires du soir, en multipliant les parties de "bonhomme rigolo" et en enchaînant les séances de torture de guilis a finalement eu lieu. Le processus entamé depuis plusieurs mois vient d'arriver à son terme, transformant irréversiblement mon adorable petit garçon de 7 ans en un autre lui-même. 
Lundi 26 avril, 19h. Assise au bout de la table, je l'observe. Je le scrute. Les expressions inédites qui flottent sur son visage à la plastique pourtant familière me narguent : impossible d'en déchiffrer la nature. Son monde intérieur - où j'étais encore récemment chaleureusement conviée - m'est devenu interdit. "Je pense" - "Je n'ai pas envie d'en parler" - "Ce n'est rien" - "Tu peux pas vraiment comprendre, maman"... Autant de petites phrases prononcées sans malice, mais qui n'en déchiquettent pas moins mes deux ventricules cardiaques. Autant de mots aux intonations mystérieuses et abruptes qui s'emploient à sectionner jour après jour les liens qui le maintenaient jusqu'ici dans la chaleur de la petite enfance. 

Si de son côté Julien se réjouit de la transition de Charles vers un état plus mature et si je sais qu'il est sain que mon fils grandisse et se détache de nous, mes entrailles s'opposent violemment à cette séparation. Je ne suis pas encore rassasiée de son odeur de garçonnet, de ses joues rebondies, de ses bras serrant trop fort, de sa confiance absolue, de son innocence irrésistible, de ses câlins interminables, de sa petite main dans la mienne, de ses envies de tour du monde en ma compagnie, de son incompréhension du mot "impossible"...

Je voudrais revenir quelques semaines en arrière et fracasser toutes les horloges, troquer dix années de ma vie contre le ralentissement des dix prochaines ou encore trouver un moyen de faire de l'Île des Enfants perdus une réalité. Je voudrais ne pas avoir à déléguer à d'autres la possibilité de le rendre heureux, je voudrais continuer à être "assez". 

Je voudrais être de ces mères qui regardent avec fierté et bienveillance - et une pointe de soulagement - la courbe de croissance de leur enfant. Je voudrais ne pas vivre comme une trahison cette séparation faisant écho à celle de sa naissance. Je voudrais réussir à garder une distance de sécurité émotionnelle afin de ne pas me laisser impacter par la fuite en avant naturelle et inexorable de mon fils. Je voudrais être capable d'aimer véritablement, c'est à dire en me focalisant sur le bien-être de l'objet de mon amour, plutôt que sur le mien.

Mais je reste claquemurée dans ma peine, compensant les silences du "nouveau Charles" par le visionnage en boucle des vidéos qui immortalisèrent ses mots balbutiants, ses adorables bêtises, ses danses, ses longs soliloques sans queue ni tête, ses pas hésitants, ses fous rires édentés...
Mercredi 21 avril, 20h30. "Maman, je peux lire dans ton lit ?"
Je manque de recracher ma gorgée de verveine : cela fait quatre jours que les 120 cm de mignonnerie se tenant devant moi me snobent.
"Bien sûr, grimpe !"
Il nettoie consciencieusement ses pieds, puis se glisse sous la couette à quelques centimètres de moi. 
Je ne prononce pas un mot et savoure de sentir son souffle caresser mon bras gauche et ses pieds battre la mesure contre les draps. 
"It's the best place ever !".
Cette constatation émise par mon fils dans un murmure quasi inconscient contourne mes tympans, évite mon cerveau et vient se ficher directement dans ces fameuses entrailles biberonnées à l'instinct maternel. Telle une droguée en manque de crack à qui l'on vient d'injecter une dose, je flotte.     

À suivre...
Par Lise Huret, le 23 avril 2021
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30 commentaires
Tous les commentaires
CharlotteIl y a 3 ans
Quel beau texte.
Hier mon père me disait, en tenant dans ses bras mon fils de moins d'un an, "pour toi, il sera toujours ce petit bébé" :-)
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Lise (TDM)Il y a 3 ans
Et il avait raison ;)
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Gingerlemon92Il y a 3 ans
Comme cet article me parle! Mes deux enfants de 35 et 32 ans sont mes bébés. Ou plutôt, je n'oublie pas les bébés qu'ils ont été. Les différentes strates de leur vie se superposent dans mon coeur. Je suis contente qu'ils aient pris leur envol, tout en ayant la nostalgie des câlins à l'époque où j'étais tout pour eux. Le temps passe si vite
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Lise (TDM)Il y a 3 ans
"Les différentes strates de leur vie se superposent dans mon coeur." : c'est exactement cela !
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AudreyIl y a 3 ans
Ton texte m'a retournée. Ma fille aura 4 ans dans deux semaines. Cette semaine elle est chez ses grands-parents. Lundi, j'ai à peine eu le droit à un "coucou Maman" pendant l'appel du soir. Et quelque part, c'est très bien, elle a sa vie sans nous. Mais je me suis écrit à moi-même (oui, j'ai encore mon petit journal) que j'avais du mal à accepter qu'elle m'échappe. Je regrette parfois les moments où elle ne pouvait rien faire sans moi (alors qu'à ces moments précis, j'espérais tellement un quart d'heure, juste un tout petit quart d'heure, pour pouvoir lire tranquillement...). Au fil de la semaine, les appels sont devenus plus émotionnels pour elle (enfin un peu). Elle rentre demain, je suis impatiente de la serrer dans mes bras. Et même si je sais qu'elle va continuer à grandir, c'est inévitable, je suis persuadée qu'on aura toujours cette jolie relation, comme j'imagine que tu l'auras toujours avec ton fils :)
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Lise (TDM)Il y a 3 ans
"Je suis persuadée qu'on aura toujours cette jolie relation " : je vous le souhaite de tout mon coeur :)
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AnnaMIl y a 3 ans
Impossible, je suppose, d'être mère sans ressentir cela... personnellement j'ai deux jeunes enfants et j'ai déjà les larmes aux yeux quand je les imagine s'éloigner de moi (c'est grave docteur ?!)

C'est très juste que la naissance est la première étape d'un processus de séparation qui dure toute la vie ; ça donne le vertige mais la vie en est d'autant plus profonde et précieuse !
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AnnaMIl y a 3 ans
une proposition de solution à ton tourment : le petit deuxième héhé ;)
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SarahIl y a 3 ans
Lise avait déjà écrit un texte sur leur désir à Julien et elle d'avoir un enfant unique :) .
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Lise (TDM)Il y a 3 ans
Cela ne ferait que décaler le problème dans le temps ;)
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LucieIl y a 3 ans
Ma mère cristallise aussi ce moment de la petite enfance et s'y replonge sans lassitude. Des enfants au pic de la mignonnerie et de la docilité !!!
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Lise (TDM)Il y a 3 ans
"au pic de la docilité" : ça je n'en suis pas certaine ;)
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Réré Il y a 3 ans
Quel joli texte ,Lise tu n’es qu’au début de l'épanouissement de ton fils mais il restera toujours ton petit garçon ,le mien est bien ,bien plus âgé mais c’est toujours mon bébé , il faut que tu acceptes ce changement ,tu verras ça viendra naturellement .
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Lise (TDM)Il y a 3 ans
Je pense aussi qu'il faut laisser le temps faire son oeuvre ;)
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AnneIl y a 3 ans
Je m'y retrouve tellement. Ici, 12 ans, l'âge des copains. Et de l'entendre me dire "je n'arrive plus à jouer aux lego. Au début, j'ai envie de jouer, et je me trouve face à eux sans savoir quoi en faire, alors je les range"...
7 -12, c'est encore assez magique, parce que la tendresse ressort, c'est une chance d'en avoir conscience.
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OliviaIl y a 3 ans
Mon mari a la soixantaine, ma belle-mère 90 ans. Quand je l'entends parfois l'appeler "Môôoman" sur le même ton que je l'imagine avoir à 4 ans, en lui ébouriffant ses cheveux blancs, et que je vois passer dans les yeux de sa mère un éclat de tendresse et d'amusement, je sais qu'il y a des choses qui ne se perdent pas...
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SashaIl y a 3 ans
Merci, je suis presque dans la situation décrite par Lise et lire ton message m'a mis du baume au cœur :)
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UnnaIl y a 3 ans
les relations mère-fille et fils-mère sont très différentes. perso ma fille a 11 ans et j'ai hâte qu'elle en est 20 ! merci la pré ado. finis les câlins and co depuis des années. Et non les enfants ne sont pas des bébés ad vitam aeternam. un enfant est né pour devenir adulte. Heureusement qu'ils grandissent sinon je serais déjà morte !!!
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EstarlaIl y a 3 ans
Prendre leurs mains et s'étonner (encore une fois) qu'elles ne soient plus potelées... Croiser son reflet dans une vitrine et se demander avec stupeur qui est ce jeune garçon qui nous arrive à la taille... mais les regarder dormir et retrouver leurs visages de bébé :)
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Patricia Il y a 3 ans
Il n’est pas si loin le temps où mon fils m‘appelait: “ma petite perle maman.”
Il a aujourd’hui 18 et une psychologue m’a expliqué qu’il fallait qu’il tue la mère pour devenir un homme. Il faut l’accepter.
Ceci dit, tu écris ce que j’ai ressenti bien mieux que j’aurais pu le faire et, malgré l’émotion que cela suscite, je te remercie.
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Violette.bIl y a 3 ans
Que c'est bien dit , mon petit avait la même bouille que le tien avec ses cheveux courts , j'aime quand tu nous le montre un peu. Alors la petite odeur d'amour elle va partir mais les liens et la communication tissés bien fort ça va rester. Oui c'est très sain pour tout le monde la "sécurité émotionnelle ", il va grandir, tu vas vieillir, ça évolue de paire, mon grand est parti il y a moins de 6 mois ce qui m'a retourné ? Qu'il prenne l'avis de sa fiancée avant celui de sa mère sur une question de boulot ...ah ah ...
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AnnaIl y a 3 ans
Oh j'adore !!
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MicheleIl y a 3 ans
Très belle prose, Lise ! Bravo !!!
Mes entrailles de Maman et de Mamie, interdite à cause de mes erreurs du passé, sont retournées.
7 ans déjà... comme il doit être beau...!
Que de regrets dans mon coeur...!
Soyez heureux tous les trois.
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marmotte 29Il y a 3 ans
Bonjour Lise,
c'est amusant cette chronologie dans ton très beau et émouvant récit qui évoque le temps qui passe avec des dates qui remontent le temps.....il y a du Benjamin Button dans ton encrier!!!!
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jadeIl y a 3 ans
Chère Lise,

N'ayez crainte, même si vous allez passer par des périodes de snobisme enfantin, la relation que vous avez construite avec Charles ne disparaîtra jamais.
Après avoir longtemps eu honte des surnoms donnés par ma mère, je me suis retrouvée, à 25 ans, à lui autoriser, à m'appeler de nouveau "bébé coeur" et je me délecte du temps que je passe avec elle.. Aujourd'hui en couple, j'aime arriver avant mon conjoint, profiter d'une soirée où nous refaisons le monde autour d'une bouteille de vin mais ce que je préfère par dessus tout c'est m'endormir dans son lit, lorsque le sommeil prend le dessus sur nos discussions.

Belle route avec Charles et Julien !
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EmaIl y a 3 ans
Je pense que tu n'as pas besoin d'être rassurée sur la relation avec ton fils (oui elle durera toute la vie).
Mais il faut pouvoir dire que l'on veut à la fois qu'il reste à tout jamais un garçonnet et qu'on lui souhaite de grandir et de s'émanciper.

Ce qui est déchirant c'est la fin de cet âge de la vie extraordinaire où l'enfant sait penser et est complètement ouvert à l'imaginaire, l'extraordinaire.
Dans Mary Poppins il y a un âge où les enfants naturellement comprennent le langage des animaux puis n'en sont plus capables et oublient même qu'ils avaient ce pouvoir. Cette fin de l'âge d'or est dure à observer.
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amandinepicpicIl y a 3 ans
Coucou Lise,

Comme je te comprend… En fin j'imagine… Je pressens ce que tu traverses! Mon petite garçon va avoir 4 ans en juillet! Je suis ravie de le voir grandir et gagner en autonomie mais justement il grandit. Il restera toujours mon bébé! Desfois aussi, je donnerai tellement pour revivre ses deux premières années (où j'étais dans le brouillard) avec plus de sérénité!
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ChristèleIl y a 3 ans
Quelle jolie et cruelle réalité pour les mamans que nous sommes!
C'est joliment écrit, Lise, ce moment ou l'on sent qu'ils ne se seront pas "qu'à nous" pour toujours...
et pourtant rassure toi, 24 ans plus tard c'est bien vers moi, sa maman que "mon bébé"de 1,80 m vient se blottir pour partager ses bonheurs et ses peines...
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SarahTheSwissSealIl y a 3 ans
Quel texte magnifique! J'ai été très émue en le lisant.
Je ne suis pas maman mais j'ai une petite demi-soeur de 16 ans ma cadette que je considère un peu comme mon bébé. Je repense souvent avec émotion au bruit de ses petits pieds sur le plancher quand elle venait se blottir dans mon lit à 5 heures du matin... Aujourd'hui c'est une grande bringue de 22 ans mais je la serre encore très fort dans mes bras dès que je peux!
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MarmotteIl y a 2 ans
Magnifique texte qui m'a énormément touchée, et dans lequel je me suis retrouvée. J'ai des jumeaux de 8 mois et je commence déjà à trouver qu'ils grandissent trop vite...! Et en même temps j'ai hâte de les voir grandir pour les voir marcher, parler. Le rapport au temps devient tellement bizarre quand on devient parent !
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