
En 1910, Coco Chanel s'installe rue Cambon et commence à se faire un nom auprès des élégantes Parisiennes. En 1913, elle ouvre une boutique à Deauville, ce qui achève de la propulser dans les bonnes grâces des mondaines. Ses tailleurs en tweed très sport, ses coupes simples et parfaites permettant à la femme de vivre loin des corsets lui offrent rapidement la célébrité et tous ses avantages…
Mais ce qui va mettre Mademoiselle Coco à l'abri des affres des modes qui se démodent et des fluctuations économiques, ce n'est pas une de ses créations, mais une rencontre. Nous sommes en 1923, lorsque lors d'une course de chevaux, Gabrielle Chanel rencontre les frères Wertheimer, Pierre et Paul. Ces derniers sont originaires d'une famille du Bas-Rhin qui a fait fortune au cours du 19e siècle. Passionnés par les courses hippiques, les deux frères sont également des hommes d'affaires réputés pour leur flair infaillible.
C'est ainsi qu'ils investissent dans des sociétés prometteuses, comme Les Galeries Lafayette ou SECM, une société d'aéronautique. Et c'est pourquoi lorsque leur chemin croise celui de celle dont le Tout-Paris parle, et qui vient de lancer une nouveauté visionnaire - Chanel N°5 - ils n'hésitent pas à lui proposer leur concours.

Mais le temps n'est pas encore au conflit. Les Parfums Chanel sont un véritable succès et la maison de couture de Gabrielle Chanel affiche une santé rayonnante. Toutes les femmes désirent s'habiller en Chanel. En 1926, Coco aurait pu être sacrée reine de l'année, tant ses apports à la mode sont conséquents, symboliques et emblématiques.
La petite robe noire voit ainsi le jour, déclinant une élégance empreinte de chic et de sobriété. Si la France adoube cette petite révolution en matière de dress code, de l'autre côté de l'Atlantique c'est un véritable embrasement. Les rédactrices de mode ne jurent que par cette petite robe, qui pour elles est la quintessence de la modernité.
Pour ses collections, Coco Chanel s'inspire de ses voyages, des hommes qui peuplent sa vie et de cette liberté qu'elle revendique. Elle crée ainsi des vêtements pour une femme émancipée et emprunte au vestiaire masculin un bon nombre d'éléments, tel que le tweed, les ganses d'uniformes, les pantalons ou les larges boutons…

La dame de la rue Cambon, qui affiche alors cinquante printemps, se trouve au sommet de sa gloire. Elle a su imposer les bijoux fantaisie, dessiner un total look Chanel, mettre au goût du jour le jersey et le tweed, élargir ses créations aux cosmétiques et révolutionner la garde-robe de l'époque. Dans les années 30, elle est à la tête d'un véritable empire, qui vend 30 000 pièces par an, possède une bonne partie de la rue Cambon et emploie plus de 4000 personnes. Cependant, les aléas de l'Histoire vont contrecarrer cette gloire sans partage.
En 1939, la Deuxième Guerre mondiale éclate. Mademoiselle Chanel ferme sa maison et se fait discrète dans ses appartements de la rue Cambon, puis finit en 1944 par s'envoler vers la Suisse. Cette période offre une vision un peu plus sombre de Gabrielle Chanel, qui apparaît peu encline aux bons sentiments et au patriotisme lorsqu'il s'agit de monnaies sonnantes et trébuchantes.
Depuis que les Parfums Chanel ont vu le jour en 1924, leur succès n'a fait qu'augmenter. Cependant vu la répartition des parts de la société, Coco Chanel ne récupère que les miettes de ce fracassant succès commercial, et nourrit un profond ressentiment envers les frères Wertheimer, qui avaient su être visionnaires et qui en récoltaient désormais les fruits. Mais Coco ne tolère pas que cet argent lui file entre les doigts.

Contre toutes attentes, lorsque Mlle Chanel revient en 1954, les conflits entre elle et ses associés se sont apaisés. Ce sont même les Wertheimer qui permettront à Chanel de ne pas sombrer. En effet le temps à passé, la mode est à Dior et au New Look et le premier défilé de Chanel déçoit. Les Wertheimer rachètent alors l'ensemble de la maison, injectant des capitaux et permettant à Coco Chanel de préparer une seconde collection.
Coco Chanel retrouve alors grâce auprès de la population grâce au soutien infaillible de Hélène Lazareff (rédactrice en chef du magazine Elle) et de l'admiration que lui vouent les Américaines. Coco est à la création, tandis que Jacques - un fils Wertheimer - dirige la maison d'une main de fer et s'allie à Jacques Helleu, qui fera de la communication l'une des forces de Chanel. À la mort de Coco Chanel (en 1971), la maison habille les grandes de ce monde, mais a perdu son impudence novatrice et révolutionnaire.

Alain Wertheimer n'a jamais voulu céder aux sirènes des franchises ou déléguer l'élaboration de ses parfums à des laboratoires étrangers. Il ne veut pas tromper sa clientèle et mise tout sur l'excellence : rien n'est trop beau pour Chanel. Afin que la magie opère, Wertheimer ne regarde pas à la dépense et donne sa bénédiction lorsque Karl Lagerfeld, à la direction artistique depuis 1983, dessine une robe nécessitant plus de 600 heures de travail chez Lesage…
Cette magie est encore possible, car la société est gérée d'une main de maître. Elle est divisée en trois parties : la mode (dont les sacs Chanel), les parfums et cosmétiques, et la joaillerie horlogerie. Trois sections qui, si elles sont indépendantes, ne cessent de communiquer afin d'offrir une cohérence stylistique.
De plus, Chanel ne laisse rien au hasard et conserve un oeil sur tout. La création se passe rue Cambon, les laboratoires sont à Neuilly, tandis que les points de vente ne souffrent pas la médiocrité, Chanel n'étant distribué que dans des écrins luxe et haut de gamme. Le groupe dispose de cinq centres névralgiques dispatchés sur le globe, afin de gérer au mieux son expansion internationale, avec un accent sur l'Asie.

Au final, Chanel perdure, entre capitaux privés, Haute Couture (éternel gouffre financier), chic intemporel, adéquation parfaite avec l'air du temps et un couturier plus jeune que jamais, en dépit de ses 70 ans passés. Chanel reste un mystère - né d'une petite Auvergnate - qui a su au fil des années se développer sans perdre de sa saveur, grâce à la volonté de certains hommes hors du commun...
Par Lise Huret, le 12 décembre 2007
Suivez-nous sur , et