Pharrell Williams chez Louis Vuitton Homme : les réactions

"Pharrell Williams est un chanteur, pas un designer"

S'il suffit généralement d'évoquer le nom de Pharrell Williams pour que les premières notes du single "Happy" se mettent à résonner dans notre boîte crânienne, l'auteur/compositeur/interprète/producteur n'en a pas moins toujours eu une attirance particulière pour le monde de la mode. C'est ainsi qu'après avoir été repéré par Nigo (le créateur japonais fondateur de la marque de streetwear Bape) au début des années 2000, il cofonde avec ce dernier les griffes Ice Cream et Billionaire Boys Club. Il collabore par ailleurs depuis 2014 avec Adidas et a à son actif de nombreux modèles de sneakers (les Superstar Supercolor, les Hu NMD…). Autrement dit, s'il ne sait probablement pas tailler une veste ni tracer la tête de manche d'une chemise de costume, il n'est pas complètement étranger à l'industrie de la mode. 

"Louis Vuitton essaie de reproduire l'effet Virgil Abloh"

S'il est vrai que les CV de Pharrell Williams et de l'ex-DA de Louis Vuitton affichent de nombreuses similitudes (amour commun pour le design, ancrage dans la scène musicale hip-hop, développement de labels streetwear…), Virgil Abloh fut toujours aux commandes créatives des marques qu'il lança (Pyrex Vision et Off White), contrairement à Pharrell Williams (chez Ice Cream et Billionaire Boys Club, c'est en effet Nigo qui est au design et non pas le rappeur). Il est d'ailleurs amusant de noter que c'est avec le créateur japonais que Virgil Abloh décide en 2020 de créer un duo éphémère chez Louis Vuitton (qui donnera naissance à la capsule LV2). Cela étant dit, force est de reconnaître que l'on retrouve chez Pharrell Williams cette incroyable énergie de touche à tout (architecture, mobilier design, cosmétique…) ayant contribué à "l'omniscience bankable" de Virgil Abloh (voir ici, ici et là). Un détail qui n'a sûrement pas échappé à Pietro Beccari... 

"Il prend la place d'un "vrai" jeune créateur"

Très éloignées d'une potentielle morale qui régirait le turn-over des directeurs artistiques, les lois du marché n'ont que faire de la dimension humaine du processus. La mode n'est en effet pas une industrie altruiste désirant faire émerger les talents de celles et ceux qui auraient studieusement étudié dans l'ombre pendant de nombreuses années. Elle n'aime au contraire rien mieux que le succès programmé d'un visage de "fille de" ou la visibilité que peut lui offrir une personnalité dont la communauté Instagram dépasse les 10 millions d'abonnés. À une époque où les maisons d'édition rechignent à lire les manuscrits de celles et ceux n'ayant pas une influence conséquente sur les réseaux sociaux, il semble logique  que Louis Vuitton ait préféré une star hautement prescriptrice à une talentueuse mais discrète Grace Wales Bonner. 

"C'est juste un coup marketing"

C'est une certitude, et ce d'autant plus lorsque - comme c'est le cas chez Louis Vuitton Homme - le DA ne peut s'appuyer sur des archives prêt-à-porter (et donc des racines auxquelles il serait nécessaire d'être fidèle). Louis Vuitton Homme est une entité mouvante se nourrissant des coups marketing de ses dirigeants et n'ayant pour seule ambition que de séduire la frange de la jeune génération moins attirée par un pantalon à pinces au tombé extraordinaire que par la possibilité d'afficher son statut social, son appartenance à une tribu ou son allégeance à un gourou branché. 

"Il ne sait sûrement ni coudre, ni couper un vêtement"

Savoir tracer le patron d'une chemise ou connaître les astuces de coupes sublimant un blazer ne font probablement pas partie de la boîte à outils de Pharrell Williams, mais peu importe : le succès d'une marque tient aujourd'hui moins au savoir-faire technique d'un homme ou d'une femme qu'à sa vision et à sa personnalité. Au sein de certaines griffes désirant avoir un impact global, le vêtement est ainsi presque devenu accessoire. Dans ce contexte, opter pour Pharrell Williams n'apparaît pas si incongru. 

"Son style est génial, il est parfait pour le job !"

Régulièrement célébré au sein de la sphère mode pour ses looks aussi cool que hauts en couleur, Pharrell Williams peut se targuer d'avoir construit au fil des années une grammaire stylistique n'appartenant qu'à lui. Un sens du style qui devrait effectivement l'aider grandement dans l'élaboration de ses collections. À moins que ses tenues doivent en réalité moins à sa propre imagination qu'au talent de ses stylistes Rob Zangardi et Mariel Haenn...

Ce que j'en pense

Cette nomination illustre à merveille les forces actuellement en présence au sein de l'industrie de la mode. La visibilité sur les réseaux sociaux d'un DA, son niveau d'influence et sa capacité à générer de l'engagement sont en effet devenus des critères cruciaux pour maintenir une griffe en bonne santé, ce qui pousse les financiers à miser sur des hommes-orchestres charismatiques plutôt que sur des individus 100% créatifs. Rendez-vous en juin pour juger de la qualité et de la pertinence du duo Pharrell Williams/Louis Vuitton…